La magie du Verbe

Aliasim et son village
Aliasim et une vue du village de Kolowaré

Aliasim, chasseur de profession, n'était pas seulement un conteur, il était aussi un chanteur, un artiste connu, et surtout il était un maître et un professionnel de la parole. On peut appliquer à Aliasim ce que Hampaté Bah dit du griot Namissé Sissoko : Personne ne se lassait de l'écouter conter ou chanter les hauts faits… d'autrefois... et selon ce qu'il contait, il pouvait modifier à volonté le timbre de sa voix, la rendre caverneuse pour les choses lugubres, tonnante pour imiter un dieu en colère, sourde et cassée pour exprimer la douleur, hésitante et voilée pour mimer la peur ou la prudence.(1)

Comme tous les grands conteurs Aliasim, avec son art, avait la capacité de captiver les auditeurs, de les faire entrer dans le monde qu'il créait au fur et à mesure de sa narration. Pour visualiser cette ambiance, il mettait en oeuvre toute une série de techniques "audiovisuelles". D'abord et avant tout la parole. Il la faisait jouer sur tous les registres, sur tous les tons. Comme l'a souligné Hampaté Bah, le conteur prêtait sa voix à chaque personnage avec le timbre et le ton appropriés, chaque situation, chaque état d'âme étaient rendus avec les modulations de voix correspondantes, etc.
Ensuite les mouvements et les gestes. Aliasim ne parlait pas seulement avec sa bouche, mais avec toute sa personne. Sa parole était accompagnée d'une mimique corporelle vigoureuse. Il jouait ce qu'il racontait, avec tous les moyens dont il disposait : voix, gestes des mains, expressions du visage, mouvements des yeux, balancements de la tête, silences, idéophones... etc. Le conteur était assis mais il obligeait son corps à assumer les positions les plus variées, les attitudes les plus étranges, selon les exigences des actions évoquées. Parfois, pour mieux entrer en communion avec son public et présenter son histoire avec plus de vigueur et de dynamisme, il se levait et racontait son histoire debout, en mimant les actions qu'il évoquait, en les visualisant avec ses gestes. (2) Dans la foto nous le voyons pendant l'émission d'un conte, lors d'une séance au village.
Deux visages qui parlent

Ainsi, peu à peu, le public entrait dans l'univers du conte, il était comme happé dans ce monde où tout est possible, où tous les êtres ont une vie et interagissent : Dieu, les anges, les esprits, les ancêtres, les morts, les génies, l'air, les arbres, les choses, les hommes, les animaux.

Ces quelques notes nous laissent entrevoir la fonction toujours actuelle du conte. Pendant la durée de la séance, le diaphragme qui sépare le monde des humains et l'univers du conte s'estompe, disparaît, et les deux mondes s'entrelacent et se rencontrent. Avec un brin d'imagination on pourrait dire, avec Claude Hélène Perrot, que le corps social tout entier en ces instants, où les bornes du présent reculent jusqu'à disparaître, balayé par un profond courant, est irrigué par les forces (3)qui se dégagent des récits et qui modèlent, ou remodèlent l'identité sociale, en donnant forme aux valeurs fondamentales du groupe. Une des caractéristiques des contes est leur aptitude à être reformulés au fur et à mesure que les contextes changent en réélaborant des nouvelles visions de l'homme et de la société.

Comme le dit encore Hampaté Bah cette parole vivante des ancêtres a le don de nous toucher, sans que nous nous en rendions toujours compte, au plus profond de nous-mêmes… nous aidant à découvrir notre image et à modifier nos comportements. (4)



1) Amadou Hampâté Bâ, Oui mon commandant ! Récit, J'ai lu, Actes Sud, 1994, 26.

2) Un autre jeune talent, Akpo Awali, du groupe de Kpadjawè, se mettait parfois debout pour mieux visualiser, mimer et danser son récit. D'autres suivaient son exemple.

3) C. H. Perrot, L'histoire dans les royaumes agni de l'Est de la Côte d'Ivoire, "Annales, Economies, Sociétés, Civilisations', Paris, 1970, n° 86, 1661-62. En fait l'auteur parle des effets bénéfiques que la fête de l'igname a sur le groupe social tout entier à partir de son souverain.

4) Amadou Hampaté Bah, Il n'y a pas de petite querelle, Stock, 2000, 7.