Le regard du journaliste Carlos

Le Tabouret d'Or de Silvano Galli, sous-titré Recueil de contes sur Nyamian Dieu du ciel et de la terre ,informe autant sur l'auteur que sur un peuple de Côte d'Ivoire, les Anyi-Bona. Entre Silvano Galli et ce peuple, il y a un bail d'une décennie de présence, d'écoute, d'échange. Le premier restait ni en villégiature, ni en safari chez le second. Ils ne se rendaient pas service, au sens touristique du terme, contre espèces sonnantes et trébuchantes, après que l'un, kodak et condescendance du touriste de passage en bandoulière, eut fait son plein d'images.
Mais l'un et l'autre se sont rencontrés et se sont appréciés. Et puisque Silvano Galli était, si l'on ose dire, en mission de sacerdoce chez ses hôtes Anyi-Bona, Dieu présidait à leur conseil et médiatisait leurs rapports.

Le visage et les dimensions d'une divinité

On peut ainsi aisément comprendre que "l'archéologie spirituelle" à laquelle s'est livré Silvano Galli en pays Anyi-Bona, n'a rien de commun avec l'évangélisation prosélytisme des premiers missionnaires, une sorte de guerre de religion qui ne disait pas son nom. C'était alors une manière de mépriser l'autre, dans la mouvance du colonialisme triomphant, de discréditer, de ravaler la culture, la religion, les valeurs de l'autre, ainsi réduites, sans autre forme de procès, en un ensemble de "choses" diaboliques, de pratiques fétichistes, païennes et superstitieuses.
Autres temps, autres moeurs: Silvano Galli, en interrogeant un riche corpus de contes et de récits, nous restitue le "visage" et surtout toute la dimension de Nyamian, le Dieu suprême des Anyi-Bona, et au-delà, toute la spiritualité de ce peuple.

Aller humblement vers l'autre

Ici le ressort essentiel du prêtre catholique Silvano Galli reste la différence, cette manière d'aller humblement vers l'autre, de l'approcher, voire de l'aimer parce qu'il reste, dans sa spécificité, d'abord et avant tout, le prochain au sens évangélique du terme. Avec la certitude que si la spiritualité est ce qui élève l'homme, tout ce qui monte, selon Theillard de Chardin, converge.
Et c'est ici que le remarquable travail de Silvano Galli, travail d'écoute, de collecte, de transcription, voire de traduction, prend tout son sens: la quête de l'autre, la rencontre avec l'autre, la compréhension de l'autre, l'amour de l'autre. Le chercher sans cesser d'être prêtre et sans renoncer le moins du monde à sa mission évangélique, paie sa dîme d'estime et de reconnaissance envers un peuple qui l'a adopté.

La compléxité d'un être non ordinaire

Nyamian, Dieu Suprême des Anyi-Bona, se trouve ainsi dégagé du fatras dont les tenants de l'ethnologie coloniale l'avaient encombré. La religion des Anyi-Bona n'est plus perçue comme cette incroyance primitive des traités des africanistes explorateurs, une religion empêtrée dans un polythéisme foisonnant. Nous approchons, nous saisissons Nyamian dans toute la complexité d'un être non ordinaire, dans la subtile dialectique de l'un et de l'autre, de l'être proche et lointain, familier et distant, dans ses attributs profanes et sacrés, dans sa "finitude" terrestre et dans son éternité céleste.

Ponts entre les cultures

Silvano Galli se fait tout à la fois pédagogue pour nous instruire par les contes, cette école du soir de l'Afrique traditionnelle, homme de dialogue qui s'offre comme un pont entre des visions du monde, certes différents, mais profond?ment complémentaires. Dieu était un, on peut admettre que les voies pour y accéder sont diverses. Aussi divers que son peuple sur toute la terre, dans cette migration sans fin vers l'Eternel.
"Le Tabouret d'Or" de Silvano Galli: "Le dieux de l'Afrique ne sont pas encore morts. Ils se cachent sous divers déguisements et, sauf erreur, auront encore un mot à dire à l'élaboration de la nouvelle personnalité africaine.

Jérôme Carlos
Ecrivain - Journaliste
Abidjan, 1992