UN MOT DE BERNARD DADIE

Après les R.P.Gorju, auteur de "La Côte d'Ivoire Chrétienne" et Mouezy, auteur de "Assinie et le Royaume de Krinjabo", le R.P.Silvano Galli, de la même Congrégation, la Société des Missions Africaines, aujourd'hui nous donne "Le Tabouret d'Or", apportant ainsi une autre pierre, combien précieuse, au "Rameau d'Or" de Frazer qui démontre, en général, à travers les contes, que la quête de tous les hommes de par le monde est la même: à savoir santé, justice, bonheur, paix...

Rencontrer les autres

Ailleurs, on parle de bonnes fées et de mauvaises fées qui se penchent sur des berceaux, bonnes étoiles, mauvaises étoiles, ogres et autres êtres fantastiques. Récits qui nous transportent hors de notre monde aux multiples problèmes, et font rêver. Rêver? Non! Ils nous projettent dans le temps à la rencontre des autres...de tous ceux qui sont avec nous dans la conquête du bonheur...
Contes, fables, histoires puériles, prétendent certains hommes qui se veulent détachés de tout ce qui se passe quotidiennement autour d'eux. Et pourtant que dénoncent-ils ces contes? Jalousie, orgueil, avarice, orphelins maltraités, et j'en passe... pour prôner ce qui unit les hommes, tout ce qui concourt à maintenir la paix dans les familles, dans les villages, et qui permet à chacun d'être en paix avec lui-même.

La culture d'un peuple

Histories puériles? Allons! Contes et fables ne font-ils pas partie des richesses culturelles de tous les peuples? Ne nous instruisent-ils pas tout en distrayant? Ces récits constituent non seulement une base d'enseignement, mais ils ont une fonction de véritable école permanente.
L.Tauxier, administrateur des Colonies, a écrit autrefois: "Religions, mœurs et coutumes des Agnis de la Côte d'Ivoire" (Indénié et Sanwi), dont le chapitre VII parlait de folklore.
Folklore! Le mot pourrait encore choquer, comme nous choquait naguère le mot "indigène" dit avec un superbe mépris par certaines personnes. Or le folklore n'est-il pas la "science des traditions, usages, croyances, légendes et littérature populaire?" Dans ce contexte, l'ouvrage du R.P. Silvano Galli me paraît être le premier dans le pays Anyi-Bona écrit par un prêtre.

Bon voisinage avec toutes les composantes de l'univers

"Nyamian, Dieu du ciel et de la terre"! Nous savons qu'Il existe, mais qu'entre Lui et nous il y a les autres, tous les autres dont parlent les contes.
Pour nous, Il n'est ni de foudre ni de guerre. Comment pourrait-Il l'être, Lui qui jadis a habité parmi nous? Entre Lui et nous, il y a tous les autres. Voilà pourquoi chez les peuples des lagunes et de la forêt, tout est question de bon voisinage: voisinage avec "les voisins" - parenté à plaisanterie qui permet de trouver des solutions heureuses à des conflits -, bon voisinage avec tous les "autres": la terre, les ancêtres, les Esprits, Dieu. Et nos pratiques ancestrales le démontrent.
Les anciens colons qui allaient à pied, en hamac, pouvaient observer, étudier, écrire. Ils nous ont ainsi laissé des œuvres précieuses. Le soir venu, après une journée harassante, ils se penchaient sur la culture de leurs administrés. Ainsi les comprenaient-ils mieux.
De nos jours, avec l'avion, la voiture, on survole et les hommes et leur culture et leurs problèmes. On ne s'arrête plus, il n'y a plus de campement, de gîte d'étape pour se reposer avant de poursuivre sa route.

S'asseoir, observer, écouter, partager

La vitesse, - le tourbillon qui nous emporte - les occupations et les préoccupations, la course effrénée pour être, paraître, ont-elles, chez tous, tué la curiosité? Nenni! Car voilà que le R.P. Silvano Galli après un contact immédiat et prolongé avec le milieu décrit, nous donne un recueil de contes sur les Anyi-Bona, preuve de l'intérêt qu'il porte aux habitants de la région où il exerce son ministère depuis 1972.
Il ne nous reste qu'à le féliciter d'avoir eu le temps de s'asseoir pour observer, écouter, sauver ces richesses d'un naufrage certain. Comme il aime souvent répéter: batrakan bo o se ji sa wunzi ne, jiè one mgbaimo di aliè o: l'enfant qui sait laver sa main, peut s'asseoir à table avec les vieux. Il a été accepté "à table" par les anciens des villages bona, et il a pu goûter à quelques-uns de leurs mets parce qu'il a su "se laver les mains", s'approcher d'eux avec respect et amitié. Et c'est une partie de cette récolte qu'il présente ici.

Une nourriture de qualité

Le R.P.Silvano Galli par son ouvrage nous invite à goûter quelques miettes de la culture traditionnelle des Anyi-Bona. Cela est néanmoins suffisant pour nous permettre d'entrevoir quelle est la qualité et la quantité de la nourriture que les anciens Bona peuvent nous offrir en nous conviant à leur table.
Merci aussi à tous ceux qui chez nous savent ou peuvent encore s'arrêter pour regarder les autres aller et venir, et partant, tenter de les comprendre... Comprendre! Nous comprendre les uns les autres, n'est-ce pas à quoi nous devons tous tendre? Et le R.P.Galli et tous ses prédécesseurs ne nous donnent-ils pas la clé qui nous met en contact avec tous les autres?

Bernard Dadié
Ecrivain
Abidjan 22/09/92