Nyamian: autres dénominations

On trouve encore deux autres dénominations se référant au dieu du ciel. Il s'agit de termes plutôt rares, si bien que ceux qui les connaissent sont peu nombreux. Les deux termes sont : Aloloa et Damangama ou Admangama, ou encore Edamangama. Le premier, on ne l'entend presque jamais dans la bouche des Bona. Je ne me souviens pas l'avoir entendu, sauf dans des chants à l'Eglise. J'ai posé des questions, mais une grande partie des gens interrogés n'en connaissent même pas l'existence. Dans tous les contes, je n'ai jamais trouvé ce terme, tandis qu'on trouve, parfois, Damangama. Certains vieux sont formels:
Nous n'avons jamais entendu parler d'Aloloa, chez nous il n'existe pas, ce sont peut-être les autres Anyi d'Abengourou ou d'Aboisso qui connaissent Aloloa. (Nana Kwakou Kra, de Koun Fao).
Par contre, quelques-uns connaissent le terme mais ils ne savent pas s'ils le tiennent des ancêtres ou d'ailleurs. Quand on demande des explications sur le sens, personne n'est à même d'en fournir.
Des chercheurs ont parlé d'Aloloa : Jean-Paul Eschlimann et Fernand Lafargue. Le premier a travaillé longtemps chez les Bona, le deuxième a étudié La religion traditionnelle des Agni-Diabré. A propos d'Aloloa, voici ce qu'Eschlimann écrit :
L'Esprit suprême qui existe avant toute chose et qui a présidé à la création des autres puissances célestes et terrestres se nomme Aloloa. Le terme est d'un usage extrêmement rare. Totalement absent des préoccupations de la vie quotidienne et des langages rituels, il apparaît dans certaines expressions archaïques pour parler du début de la création. L'Eternel est cet esprit primordial qui aurait créé la voûte céleste appelée Nyamian et la terre dénommée Asiè. Ensuite il aurait garni le firmament du soleil, de la lune et des étoiles (1).
Pour Lafargue aussi, Aloloa serait la divinité, supérieure des «Agni-Diabré», des Anyi-Djouabenin de la région d'Agnibilékrou. Il écrit :
Au sommet du panthéon se trouve Aloloa qui est à l'origine de tout l'univers. Il a créé la voûte du ciel qui est en même temps une divinité appelée Nyamian, ensuite il a créé Asiè, divinité de rang presqu'égal à Nyamian (2).
Pour Lafargue, il y a distinction nette entre Aloloa et Nyamian, sa créature. Aloloa est le Dieu Suprême qui a toujours existé. Il n'est pas objet d'un culte, le culte est réservé uniquement à Nyamian.
Pour les deux chercheurs, Aloloa serait l'Esprit suprême des Anyi-Bona et des Anyi-Djouabenin, qui aurait créé le couple primordial Nyamian-Asié, le Dieu du ciel, voûte céleste, et la terre nourricière.

Quelques remarques.

Puisque Aloloa est une divinité d'une telle envergure «au sommet du panthéon», selon Lafargue, on devrait la trouver dans d'autres groupes anyi et baoulé.
En effet, ce terme est connu de quelques groupes anyi et baoulé, et aussi d'autres groupes akan, mais pas toujours dans l'acception d'Etre Suprême.
Le problème n'est pas simple. A propos des Baoulé, Lafargue pense trouver l'équivalent de Aloloa en Damangama. Mais il est obligé de reconnaître que Damangama, qu'il traduit par Eternel, a perdu son rôle de créateur de l'univers et particulièrement de Nyamian et de Asiè. Par conséquent, c'est Nyamian qui, en fait, prend la place de l'Etre Suprême.
On pourrait, peut-être, aborder le problème d'un autre point de vue, et poser cette question : le rôle de créateur de Damangama ne serait-il pas perdu de vue tout simplement parce que Damangama et Nyamian sont les mêmes personnages, deux noms différents de la même réalité?
A propos des Ashanti, Lafargue écrit qu'ils possèdent l'équivalent d'Aloloa en Nyancopon. Mais il se peut que Lafargue ait été mal renseigné, car Nyancopon n'est que l'équivalent ashanti de Nyamian. Voici comment P. E. Kouassi explique le mot Nyancopon :
- Nyam : Nyamian
- Com : Ngomin (seul, unique)
- Pon : Kpagnin, pagnin : vieux, ancien
Donc Nyamian seul ancien, ancien par excellence. C'est un nom emphatique de Nyamian, et non une réalité différente.
Pour avoir d'autres informations sur Aloloa, j'ai fait un sondage en dehors des Bona, mais toujours à l'intérieur du monde akan. J'ai rencontré trois chercheurs à qui j'ai posé deux questions :
- Connaissez-vous le terme Aloloa?
- Si oui, que signifie ce terme?
Claude Hélène Perrot : elle a vécu longtemps parmi les Anyi-Ndénié de la région d'Abengourou. Elle n'a jamais entendu ce terme.
D'après ses renseignements, l'Esprit Suprême des Anyi est Nyamian au-dessus de lui il n'y aurait aucune autre divinité (3).
Yawa Apronti, un Ashanti de l'université de Legon. Aucune hésitation : pour lui l'Etre Suprême des Ashanti est Nyamian, appelé aussi Nyancopon.
Barthélémy Comoé Krou, un Anyi d'Andé : il a étudié les jeux anyi. Il connaît le terme Aloloa. Il reconnaît qu'il n'est pas facile de définir exactement le contenu du terme. Il exclut que Aloloa soit l'Etre Suprême créateur de l'univers et du couple Nyamian-Asié. D'après ses renseignements, Aloloa serait le temps cosmique, à savoir l'espace qui va de la création de l'univers à son terme, le temps dans lequel est placée et évolue la création jusqu'à sa maturité complète et à sa dissolution finale.
J'ai enfin consulté une étude récente de Paul Emile Adjaffi, un chercheur anyi de l'Indénié. Il connaît les deux termes d'Aloloa et de Damangama, ou Edangama, comme il l'écrit. Il analyse l'opinion de quelques auteurs sur le sujet, par exemple Tauxier, Amon d'Aby, Grottanelli. Il écrit :
Les termes d'Aloloa et Edangama que l'on rencontre chez d'autres groupes akan et qui servent, chez eux, à désigner l'Etre Suprême (4), existent aussi chez les Agni de l'Indénié, mais ne s'y emploient guère tout seuls pour désigner Nyamian. Ils ont été peut-être originairement employés en ce sens, mais aujourd'hui ces mots expriment surtout l'éternité ou plutôt la pérennité d'une chose.
A propos de l'Etre Suprême des Anyi, son opinion est nette :
Le Dieu suprême a été tellement «agnisé» que tout le système des croyances s'effondrerait si Nyamian perdait sa place d'unique Etre Suprême... Dans ce que nous pouvons appeler le panthéon agni, il y a un Dieu Suprême, Nyamian, origine et soutien de tout ce qui existe (5).
S'il reste difficile de cerner exactement le contenu d'Aloloa, il paraît, par contre, moins difficile de définir le terme Damangama.
D'après les informations recueillies à Koun Abronso, Koun Fao, Dodassué, Ngorato, et d'après certains proverbes tambourinés pendant la fête de l'igname dans les cours des souverains bona et anyi, Damangama ne serait que l'attribut d'éternité de l'Etre Suprême Nyamian. On pourrait traduire Damangama par l'Eternel.
Voici quelques proverbes tambourinés :
o fi damangama / o fi damangama
damangama jiè o fi titi:
Il provient de l'Eternel,
il provient de l'Eternel,
l'Eternel provient du commencement.
Ou encore :
o fi damangama /
o fi damangama
ji jiè o bole blemgbi
blemgbi kosso o fi titi:
Il provient de l'Eternel,
Il provient de l'Eternel,
C'est l'Eternel qui a créé la royauté.
La royauté provient du commencement.
On peut traduire plus simplement : le pouvoir vient de l'Eternel, l'Eternel a toujours existé. Cette dernière traduction trouverait appui dans certains mythes d'origine qui commencent ainsi : tem bo Damangama bole maa ne, ou tem bo Damangama bole sonan : quand l'Eternel a créé le monde, quand l'Eternel a créé l'homme... Le terme Damangama est beaucoup plus connu que celui de Aloloa, même si son usage est assez restreint. Paul Emile Adjaffi, à propos de Aloloa, a signalé une phrase qui revient souvent dans les mythes de l'Indénié: Kè bo Aloloa lè bo ne, jiè Nyamian bolé awuno one asiè : quand Aloloa commençait, Nyamian a créé le ciel et la terre.
En guise de conclusion on peut dire, avec J. P. Eschlimann que :
La conceptualisation traditionnelle de ces différentes instances numineuses devient de plus en plus floue. L'influence grandissante des traditions chrétiennes et musulmanes accentue certainement la désagrégation des données traditionnelles. L'embarras des informateurs se traduit dans ce fait que, pour eux, tout devient synonyme de tout et chacun (Aloloa, Nyamian) a tout fait (6).
Cette imprécision de langage peut aussi être révélatrice d'autre chose. Aloloa pourrait être un attribut de Nyamian soulignant, ou mettant en valeur, l'une de ses activités : son immensité, ou son activité créatrice, exactement comme Damangama. De son côté, P. E. Adjaffi conclut en ces termes :
On pourrait peut-être émettre l'hypothèse que les Agni ont cru autrefois, comme les Nzema encore aujourd'hui, que c'est Edangama qui est à l'origine de tout, et que c'est lui qui a créé Nyamian, qui à son tour, a créé toutes choses. Mais dans ces conditions, Edangama a été complètement éclipsé par Nyamian à qui l'on confère aujourd'hui tous les attributs de l'Etre Suprême. L'usage que l'on fait aujourd'hui des termes Edangama et Aloloa ne nous permet pas de dire que l'on considère ces notions comme désignant des êtres personnels. Il faudrait une étude plus approfondie de ces termes pour savoir comment ils ont évolué (7).



1) J. P. ESCHLIMANN, Notes Manuscrites, 106.
2) F. LAFARGUE, Colloque inter-universitaire Ghana-Côte d'Ivoire, Les populations communes de la Côte d'Ivoire, Bondoukou, 4-9 Janvier 1974, 522 et ss.
3) C. H. PERROT est auteur de : Les Anyi-Ndénié et le pouvoir aux 18ème et 19ème siècles, cit.
4) Il s'agit des Nzima. Cf : V. L. GROTTANELLI, Gods and morality in Nzema Polytheism, in Ethnology, vol.VIII, n. 4, oct. 1969, 371-372.
5) P. E. ADJAFFI KOUASSI, 216 et 227.
6) J. P. ESCHLIMANN, Notes Manuscrites, 101.
7) P. E. ADJAFFI KOUASSI, 243.