Présentation des textes

Voici un autre recueil de textes concernant les Tem - Kotokoli de la Région Centrale du Togo. Quelques mots pour présenter les contes. Ces contes n'ont pas été recueillis dans des séances ordinaires, comme les contes des autres fascicules, quand les conteurs venaient soit à la mission, soit quand j'allais, moi-même, à Kolowaré dans leurs cours, par exemple la cour de Kpadjawè, ou de Samirè, où conteurs et public se rassemblaient pour se divertir ensemble. Les conteurs étaient des kotokoli, des personnes avec une santé normale, hommes et femmes adultes.

Ces textes, au contraire, ont été contés par des personnes âgées et malades de la lèpre, avec des minorations graves. Habituellement il n'y avait pas de public, hormis quelques jeunes femmes et, parfois, des enfants. Dans le groupe se trouvaient un ou deux jeunes gens qui servaient d'interprètes ou d'accompagnateurs. On les voit sur la photo de couverture. Il s'agit des frères Edmond et Yoli Kpazin. Certains malades venaient dans leur chaise roulante, se déplaçant avec une canne, des béquilles, ou encore se trainant sur les pieds, sur les genoux, avec un tabouret, ou bien accompagnés par des amis où des enfants s'ils étaient aveugles. Cela pour souligner leur difficulté de mouvements et la volonté et le désir qu'ils mettaient à participer aux réunions. Les rencontres, étalées sur les mois de février - mars 2011, avaient lieu le mardi matin de 9 à 10 h. dans leur chapelle au village, à côté du Centre de Santé. La plupart des conteurs, et les plus assidus aux séances, n'étaient pas kotokoli, mais kabié, losso, logba, samiré, peul. Je leur demandais de raconter dans cette langue, même si la difficulté, à manier la langue, était évidente. Pourtant quelques textes ont été contés en kabié. Les textes ne sont donc pas des contes typiquement « Tem-Kotokoli », mais un mélange, un assortiment provenant de différentes cultures, depuis longtemps entrelacées. Comme on le dira plus loin, à propos des proverbes, les Tem-Kotokoli de Kolowaré vivent dans le même village avec d'autres groupes : Kabié, Losso, Yaka, Lamba…. Donc les contes circulent à l'intérieur de ces groupes qui vivent ensemble et qui ont des échanges courants. Il ne faut pas s'étonner de trouver les mêmes récits chez les Kotokoli et leurs voisins.

Voici les noms des conteurs, leur village d'origine, leur ethnie, et la date approximative de l'arrivée à Kolowaré :

Zakari Tchouro Agbanwè de Gandé (Gbafilo), kotokoli, arrivé à Kolowaré au début des années '50, quand sur place il y avait le père Georges Fisher, décédé en 1955.
Lucien Kabisa Magnan de Saoudé, (Kara) kabié, arrivé au temps de la sœur kaniébé, (elle sait tout) sœur Marie Fernande, présente dès l'ouverture du Centre en 1953.
Rose Kondo de Tanéga, losso. A son arrivée il y avait la sœur “Ma Mère”, sœur Anne Marie Angst, une des premières religieuses présente à Kolowaré depuis 1944.
Jacques Ppemeya Tagba, de Lasa (Kara), kabié. Devenu aveugle au temps de sœur kaniébé.
Thomas Mamadou Kpékpasé, de Ketao, logba : membre d'une ethnie apparentée aux Kabié, à majorité musulmane. Lui aussi arrivé au temps de la « Sœur Ma mère ». Il était là quand le père Fisher est décédé en 1955.
Elisabeth Tchandè Bitasa, de Yadé - Boou (Kara), Kabié. Epouse de Lucien Kabisa Magnan. Ils se sont connus et mariés ici à Kolowaré.
Salifou Dermann, appelé couramment Saleh, de Sokodé, kotokoli. Arrivé au temps de sœur Anne Marie Buzon, surnommée De Gaulle, à cause de sa haute taille. Début années '60.
Antoine Adja Tchédéré Toumtoum, de Aloum (Défalé), losso. Arrivé au temps de sœur kaniébé.
Léon Kara Ouiyo Ouaté, di Kidjam - Landa, kabié. Il s'est marié ici à Kolowaré avec Cathérine Yaa Kofolom de Kidjan (Kara).
Des visages qui parlent Azeïtou Assoumanou, de Sokodé, kotokoli.
Amadou Bukari, de Samiré, samire, (Benin).
Seydou de Tchamba, tchamba, arrivé au temps de sœur Marie Fernande, années '50.
Ouro Adegnon, Peul : on n'a pas pu avoir d'autres informations, car décédé recemment.

Sur la photo, on peut voir les conteurs, les plus assidus. Les voici dans l'ordre, à partir du conteur avec le bonnet blanc : Salifou Dermann, Ouro Adegnon, Zakari Tchouro, Tchandè Bitasa, Kabisa Magnan, Rose Kondo, Jacques Pemeya, Thomas Kpékpasé, Antoine Adja Tchédéré. Aux angles, en diagonale, Kpazin Edmond et son frère Yoli, les deux accompagnateurs.

Une première ébauche de traduction des textes kotokoli a été faite par Affo Larey, revue ensuite par moi-même et d'autres, notamment Christiane Franzetti, pour le français et la mise en forme. Les textes kabiè ont été traduits, à la mission, par Cyrille Tchalim et moi-même.

Un mot sur la traduction. Comme dans les autres fascicules nous avons essayé de conserver les caractéristiques et la saveur de l'oralité: style, images, phrases idiomatiques, astuces du conteur, répétitions, idéophones, etc. La traduction peut paraître, parfois, tortueuse, désagréable a l'oreille, surtout pour un lecteur non habitué au français d'Afrique. On présente des textes presqu'à l'état brut, avec une traduction textuelle qui se situe à mi-chemin entre la traduction littérale et la traduction littéraire. Deux exemples. Le conte « Prisonnier des génies » se termine par ces mots : C'est depuis lors que les devins voyants ont commencé à mentir aux gens. Avant, les devins ne mentaient pas. Le Cultivateur et le Peul à cette conclusion : C'est la cause pour laquelle un adage tem dit : si un devin te ment, toi aussi va mentir au carrefour. Au lieu de « mentir » on pourrait traduire : faire de fausses prédictions. On garde notre traduction pour cette raison. Les villageois traduisent « alifa », devin, féticheur, par « charlatan ». Le message est clair : ils n'ont pas beaucoup d'estime et de confiance dans le personnage, perçu comme « menteur », bluffeur, roublard. Ces gens ne font que « mentir », c'est leur travail, disent les villageois, même si, parfois, les prédictions se réalisent, comme dans le conte.

Les noms des personnages, des acteurs, sont en majuscules et au masculin sans article, même s'ils sont parfois de genre différent en français, par exemple : Araignée, Tortue, Souris, Crapaud, Caméléon, Lézard, Mort, etc. Ainsi on n'écrira pas « la tortue », « le crapaud, », « l'araignée », « la souris », « le caméléon », « la mort », « le vent », mais : Tortue, Crapaud, Araignée, Souris, Caméléon, Mort, Vent, Peul, Cultivateur, etc. On lira donc : « Araignée est assis », et non « assise ». Ou encore : « Mort était sorti » et non « sortie », « Etoile est parti aux cieux », et non « partie », etc. Pour la ponctuation il y a quelques entorses à la grammaire : après les deux points [ :], le point d'exclamation [ !], d'interrogation [ ?] on trouve des minuscules, au lieu des majuscules.

Les conteurs ne donnent pas de titres aux récits. Les titres sont ajoutés comme des éclairages du texte pour en faciliter la compréhension. Ce recueil ne présente pas tous les contes recueillis, mais uniquement une sélection de textes. On a privilégié des nouveaux récits qui ne sont pas parus dans les autres fascicules, ou bien des variantes intéressantes sur le même thème, par exemple : L'enfant malin, ou Chasseur sauvé par une aiguille.

Ce travail ne peut être qu'un hommage au courage et à la détermination des conteurs qui ont accepté de se déplacer malgré leur handicap. Comme souligné précédemment leurs mouvements ne vont pas sans peine, difficulté, souffrance. Ils ont supporté cet état de fait soit pour vivre ensemble des moments de convivialité et de fête, et surtout pour partager avec d'autres leur savoir, leurs connaissances, leur art, en nous faisant savourer quelques bribes de leur culture et de ce qu'ils portent dans le cœur. Comme le soulignait le Chef du village à la fête des malades de la lèpre en cette année 2012, nous aussi disons avec lui « venez voir ce que les malades savent faire, et comment, avec leur présence, ils ont transformé le village ».