Un regard sur les proverbes et leur utilisation

Dans sou ouvrage sur le Musey du Tchad Marco Bertoni,(1) en présentant les proverbes, fait cette remarque : « Dans les cultures à tradition orale les proverbes et les dictons exercent une fonction éducative importante, associé à un contrôle social. Grâce à la mémorisation facile de leurs formules et de leurs contenus respectifs, ils constituent un système particulier de transmission de normes fondamentales régissant les comportements socialement valides par la communauté qui les a produits ».
Cela peut être aussi appliqué aux Tem-Kotokoli. Il faut préciser, comme le note encore le même auteur que « chaque communauté, en fonction de son milieu naturel, social et de son appareil symbolique, élabore des proverbes spécifiques dont les références s'inscrivent dans l'horizon culturel qui les a produits ».
On trouvera dans ce recueil des proverbes kotokoli traduits en français. Dans cette introduction on essaye de replacer le proverbe dans son contexte pour en montrer la fonction et l'utilisation.

Le contexte d'émission

J'étais chez les Anyi-Bona de Côte d'Ivoire, à Koun Abronso, un village de la S/P de Koun Fao de Côte d'Ivoire, dans les années '70. Je collectais des proverbes, et je harcelais les vieux à tout moment. Un jour un vieux me lance : bè nafe man, bè ngi naliè, si on ne dort pas on ne peut pas rêver. On ne dit pas un proverbe sans une raison valable, on ne peut formuler un proverbe en l'air, en l'isolant de son contexte d'énonciation, pour faire plaisir à quelqu'un.
Autant le proverbe sort spontanément, sans difficulté, presque sans s'en apercevoir, dans une situation précise, autant il est difficile, même pour un locuteur local, d'énoncer des proverbes hors contexte.
Le vieil Albert Koabenan était en train de discuter vivement pour régler une palabre. A un certain moment il sort un proverbe que je ne connaissais pas, et je n'avais rien sous la main pour écrire. A la fin de la discussion je lui demande de me redire le proverbe qu'il avait sorti : « Mais non, je n'ai dit aucun proverbe, non, non, tu te trompes ». Les vieux sont tellement bourrés de proverbes qu'ils ne s'aperçoivent même pas quand ils les énoncent, mais au bon moment. Le proverbe en fait était : batra kan bo o se ji sa wunzi ne, jiè one mgbaimo di aliè o (2) : c'est l'enfant qui sait laver sa main qui mange avec les vieux.
Au début des années '90, le directeur de Fraternité Matin, Michel Kwamé, un ami de longue date, me raconte cette anecdote. Il était au Canada et on lui demande de citer 20 proverbes anyi. Plein de confusion il a dû avouer ne pas être à même de le faire. Il en connaissait des centaines et des centaines, mais hors contexte, sans une occasion précise, il n'a pas pu les énoncer, les proverbes ne sortaient pas, ne trouvaient pas le chemin pour jaillir de la source.

L'utilisation des proverbes

Le proverbe est donc lié à des situations précises et se définit par son emploi, il sert à éclairer, commenter, des faits concrets. Je me trouvais dans la cour de Louis Kwame, l'un des sages du village de Koun Abronso, grand conteur, guérisseur et tradithérapeute. J'allais souvent chez lui pour le saluer, causer, pour m'entretenir, bavarder. J'étais aussi toujours à l'affût de proverbes, et je ne manquais pas d'occasion pour saisir quelques bribes de son savoir. Un jour, fatigué de mes questions, il me lance : Quand le poussin gratte trop sur le tas du fumier à la lisière du village, il risque de trouver les os de sa maman. (3) Et il explique : Tu viens d'arriver, (j'étais là depuis deux ans) tu poses toujours des questions sur tout, tu veux tout savoir, tu risques de te casser le nez, attention ! Et tout le monde de rigoler !
Voilà un'utilisation précise du proverbe: il y a un contexte, un message à faire passer, une leçon à donner avec humour pour éduquer quelqu'un qui veut marcher un peu trop vite. Le vieux me mettait en garde pour m'éviter de faux pas, des « rencontres désagréables ».

Des messages à faire passer

Dans le même ordre d'idées, mais avec des nuances différentes, voici un proverbe kotokoli qui éclaire bien une situation courante à la mission de Kolowaré. Nous sommes en 2010. Une dame donne quelques bombons à des enfants, une fois, deux fois, plusieurs fois. Les enfants du village savent maintenant que la dame donne des bombons. Et ils arrivent en groupe, de dizaines à la fois, à n'importe quelle heure de la journée. La dame ne sait plus quoi faire, d'ailleurs elle n'a pas de bombons pour tous. Je lui rappelle ce proverbe : a simika woogoo kayaa tèèwu, kagujuu-daa gè bendèm. Si l'oiseau est allé appeler la pluie, c'est sur sa tête que cette pluie finira. Le message est clair : il ne faut pas te plaindre, tu dois assumer les conséquences ennuyeuses des tes actions, c'est toi qui as appelé les enfants et qui les fais venir.
Le 28 octobre 2010 je m'arrête à Tchalo pour acheter une pousse de cocotier. Il y a une pépinière, bien visible, aux bords de la route. Le cultivateur propose toute sorte d'arbustes dans des petits sachets. Les sachets, avec les tiges de coco qui sortent de la terre, sont là bien alignés. Ils sont beaucoup plus gros que les autres, car ils doivent contenir la grosse noix. Le prix aussi est différent. Pour les cocos il demande 1500 frs, pour les autres 200/300 frs. Je trouve le prix un peu cher, je lui dis, eh, ailleurs on peut les trouver à beaucoup moins. Il me sort alors ce proverbe : araha deere tangbaa boo : le cheval moins coûteux ne monte pas la montagne. Si tu ne payes pas le juste prix, tu n'auras rien de bon. Et moi de lui rétorquer : alikisani loninga bene kudum ghè wendii: le boucher malin ne gagne qu'une seule année. Fais attention, ne vends pas trop cher, c'est de la mauvaise publicité et tu perds les clients.
Le samedi 30 octobre 2010 je me promène au marché de Kolowaré. Je suis avec mon frère e sa nièce Agnese, une jeune fille de 26 ans. Je m'arrête pour causer avec Aminatou, chez qui j'achète souvent des oignons. On se connaît depuis des années, et on aime beaucoup blaguer ensemble. Elle regarde longuement la jeune fille et je lui dis que c'est ma nouvelle femme. Elle me lance alors ce proverbe: a nyamuu niveyoo kifaloo, nkèbèdi kinbinga, si tu as acheté une nouvelle marmite, ne jette pas l'ancienne. Je la rassure : elle demeure toujours ma première et préférée, comment pourrai-je l'oublier ? D'ailleurs je sais que Soorom kibiingi wangbaree kazoo bekele kifaloo, un vieux balai nettoie mieux qu'un jeune.
Le 11 février 2011 le Centre de santé de Kolowaré a ouvert la nouvelle pharmacie. Après la bénédiction du bâtiment, tout le personnel du Centre était réuni pour marquer l'événement par une petite fête et un vin d'honneur. A un certain moment passe, non loin de nous Salifou, l'un des ouvriers qui a travaillé à la construction du bâtiment. Sœur Antonietta, la responsable du Dispensaire l'appelle : « Viens faire la fête avec nous ». Il s'assoit sur les escaliers et on lui offre des boissons. Kassem, un infirmier, sort ce proverbe : Méévé dom-ro, mevii caawéle, je me suis réveillé du sommeil et j'ai trouvé une tortue. Pour souligner sa chance inattendue. Habituellement la tortue on la trouve en brousse et non pas à la maison sans la chercher.

Naviguer dans un monde de symboles

Ces cas d'utilisation montrent que le proverbe recouvre une multitude de situations et de sens. L'énoncé est neutre. Il prend son sens à l'intérieur d'un discours et selon l'intention de l'interlocuteur. Le même proverbe peut être appliqué à des circonstances complètement différentes. On cherche à dire quelque chose d'une situation donnée, mais on le fait avec un énoncé qui n'a aucun rapport apparent avec la situation. On est dans un monde fictif, où mieux symbolique : dans le premier cas on parle d'un poussin - un petit sans expérience qui doit apprendre à vivre - d'un tas de fumier, des os d'un poulet, qui s'avèrent être ceux de sa mère, dans le deuxième d'un oiseau, de la pluie, d'une tête qui se mouille, dans le troisième d'un cheval incapable de grimper une montagne, d'un boucher malin où malhonnête, d'une vielle marmite qu'on ne doit pas jeter, d'un tortue qu'on trouve par hasard. On met donc en relation une situation concrète - mes questions inopportunes, la dame qui donne des bombons, le prix trop cher, une jeune fille, un balai, un jeune homme et sa chance - avec un énoncé apparemment étranger à la situation, mais le message passe et les interlocuteurs comprennent.(4)

Notes

1) Marco Bertoni, I MUSEY, Miti, favole e credenze del Ciad ; LES MUSEY, Mythes, fables et croyances du Tchad, Editrice Democratica Sarda, Sassari, 2005, 286.
2) Dans cette introduction les proverbes sont transcrits en français et non pas en caractères phonétiques comme dans le corpus.
3) Avec des images différentes les Kotokoli ont le même proverbe : a nyangelee taaze, nyangelee njaa-janaa-dèè kimè-roose : si tu fouilles trop, tu découvriras les dettes de tes grands parents.
4) Voir : Jacques Chevrier, L'arbre à palabres, Essai sur les contes et récits traditionnels d'Afrique Noire, Hatier International, 2005, 346-47.